La ballade de Narayama

 

un film de Shohei Imamura

 

 

Japon - 1983

Couleur

Avec :
avec Ken Ogata, Sumiko Sakamoto Tajeko Aki, Tonpei Hidari, etc.

Aux côtés de Oshima, Ichikawa ou Suzuki, Shohei Imamura est une figure
centrale de la "nouvelle vague" japonaise, qui renouvela profondément la
production cinématographique de l'archipel dans les années 1960. Engagé par
un des grands studios et devenu, par défaut et bien involontairement,
l'assistant d'Ozu lors de son apprentissage, Imamura a pourtant développé un
style bien différent de celui de son maître, avec qui il eut des relations
passablement exécrables. Sec, coupant, volontiers absurde ou bouffon, sa
palette d'effets et d'émotions est gagne en variété et en puissance ce
qu'elle pourrait perdre en finesse.
                                                                                
                                                                                
Palme d'or pour film-clef
                                                                                
La ballade de Narayama peut sembler un cas à part dans la filmographie du
cinéaste : dans la foulée de la Nouvelle vague, il privilégie d'ordinaire la
description de la société contemporaine, à travers le fait divers (Profond
désir des dieux, La vengeance est à moi, L'Anguille...), l'histoire, liée à
la catastrophe atomique (Pluie noire, Kanzo Sensei) et le documentaire, dans
lesquels il n'hésite pas à se mettre en scène (L'évaporation d'un homme,
L'histoire du Japon raconté par une hôtesse de bar). Abordant pour la
première fois à la fois le genre de l'adaptation littéraire et de la
chronique historique et sociale, La ballade de Narayama est une somme des
thèmes dont s'est nourri le cinéma d'Imamura durant les vingt premières
années de sa carrière, et un pivot qui annonce sur beaucoup de plans ce que
sera sa manière plus tardive, mêlant les genres et les émotions avec une
réussite rarement égalée par d'autres réalisateurs moins talentueux.
                                                                                
Palme d'or à Cannes en 1983, ce film décrit les conditions de vie d'un
village d'antan perdu dans les montagnes, et les relations immuables entre
fils aînés, fils cadets, et parents, régies par des lois ancestrales.
D'emblée, Imamura marque le film de sa griffe : s'attaquant à la fois à un
succès de la littérature contemporaine, qui fit scandale lors de sa
publication, et à un classique célébré du grand écran ( réalisé par Keisuke
Kinoshita en 1958) dont il fait ici le remake, il s'en détache fortement,
optant non pour une représentation stylisée des décors (réalisés avec
gigantisme en studio) et des personnages, inspirée du théâtre traditionnel
kabuki, mais pour une photographie réaliste tournée en décors naturels, un
état de la société rurale traditionnelle éclairé d'une lumière crue, sans
fard, conforme en cela aux préceptes de la nouvelle génération des années
60. Toute la vie du village est orientée vers la survie, alimentaire et
sexuelle. Voler une livre de pomme de terre devient un crime capital, se
débarrasser d'un bébé que l'on ne peut nourrir est monnaie courante, et la
famine immpose une coutume bien cruelle : agés de soixante-dix ans, les
ancêtres du village doivent se rendre dans un sanctuaire perché dans la
montagne, au prix d'une rude ascension, portés par leur fils aîné, pour y
mourir.
                                                                                
                                                                                
Violence et animalité
                                                                                
La violence  de ce conte, à la fois parabole poignante et  chronique de la
vie d'une communauté, fit scandale lors de la sortie du livre, et  Imamura
s'applique à transposer cette violence à l'écran, en faisant se cotoyer les
extrêmes :
à la dureté des conditions de vie répond la frénésie des pulsions et des
désirs, que  chacun cherche à satisfaire, à la violence de la vie en commun
répond la sérénité du foyer, à la cruauté des traditions correspond l'humour
ravageur, et nécessaire au soulagement des peines quotidiennes. La
malédiction qui frappe les fils cadets, interdits de se marier, et la
manière dont ils tentent de la conjurer sont à cet égard fort réjouissante,
et le rôle du bouffon incarné par "le Puant" est à la fois irrésistible de
drôlerie et profondément émouvant par sa sensibilité, opprimé par une double
hiérachie patriarcale et sexuelle.
                                                                                
Cette mentalité communautaire où une violence primitive se double de la
présence sous-jacente d'un monde de croyances magiques, où l'humain et
l'animal font partie d'un même monde, d'un tout dont les parties cohabitent
indissociablement, parallèlement les unes aux autres s'entrecroisant sans
cesse, entre moments d'harmonie et de transgression. Comme pour souligner sa
démarche d'entomologiste, Imamura se transforme en documentariste animalier,
intercalant entre les descriptions fouillées de la vie humaine des plans de
la vie animale : aigle planant majestueusement ou se préparant à ravir sa
proie, insectes s'entredévorant ou s'accouplant, serpents en pleine danse
nuptiale ou dévorant un rongeur, ces respirations naturelles du film en
commentent et en construisent peu à peu le sens, toujours ambivalent,
donnant à déchiffrer la vie, sans s'appesantir sur aucune visée trop
lourdement symbolique, comme un monde brutal et incertain, régi par des
pulsions instinctives. De manière signifiicative, cette interdépendance de
l'homme et de l'animal au sein du même règne est même une des marques de
fabrique du style d'Imamura, que l'on songe à l'animal titre de L'anguille,
ou encore aux abattoirs initiaux de L'histoire du Japon racontée par une
hôtesse de bar.
                                                                                
                                                                                
Un film de peintre
                                                                                
En même temps que l'homme est remis à sa place, presque anodine, au sein du
monde animal et de la nature, c'est par son humanité contradictoire et
passionnée qu'il nous émeut vraiment, au sein de ce monde si peu fait pour
lui. D'emblée, l'ouverture du film replace l'homme à l'échelle de la nature,
comme le jouet des éléments, comme un peuple de fourmi tapi dans la nature.
L'attention au détail, l'usage du très gros plan en même temps que du plan
large rappelle Tarkovski et son admiration pour les tableaux nneigeux de
Brueghel l'Ancien ; les cascades et les arbres en fleurs convoquent les
lavis chinoisImposant sa palette élégante, presque élégiaque, le cinéaste se
fait peintre des quatre saisons : d'abord la blancheur bleutée de l'hiver,
puis la vive verdeur du printemps aux couleurs crues et humides, et enfin,
les tons mordorés de l'hiver.
La beauté de ces images de la nature brute, qui ne se sait pas observée, aux
couleurs crues et vives est une des réussites qui portent le film, et
transcendant les sentiments des protagonistes, qui échappent ainsi au
pathos. L'émotion intense qui est transmise par le film émane de la nature,
et se pare d'une simplicité  poignante, d'une humanité palpitante. La fin du
film, communion du fils et de la mère, de deux individus et de la nature est
magnifiée par une neige délicate, d'abord discrète, puis abondante, qui
revient envahir l'écran et recouvrir le destin des personnages. Dans ce rite
initiatique du pélerinage funèbre à Narayama, l'ascension transforme le fils
en anti-Orphée, tourmenté par ses fantômes, portant sur ses épaules une
Euridyce qui est sa mère, le prive de la parole et le confronte aux limites
de son courage d'adulte. Tandis que la mère s'initie progressivement et
résolument au mystère de la mort, le fils est pris d'un sursaut d'humanité,
de vie, et transgresse toutes les régles qui lui avaient été fixées, pour
retrouver in fine la sérénité et le goût de la vie.
                                                                                
Chef-d'oeuvre de son auteur, cette chronique rurale se révèle alors avant
tout un vibrant hymne à la vie, vécue selon son mode le plus pulsionnel et
le plus animal, pour exallter le sentiment de l'humanité la plus intense,
dans une expérience cinématographique inoubliable.

 

Dernière mise à jour le 22 septembre 2004

Des commentaires, des questions ? Ecrivez au webmaster !